Bpost - Post NL : Pourquoi nos sentiments sont mitigés!

07.06.2016

L’adjonction de bpost et de post NL aurait à coup sûr renforcé la position de l’entreprise dans le monde de la distribution des colis. La concurrence y est rude, et pour la faire jouer à l’extrême, on abuse souvent du personnel! Et c’est précisément sur ce point que portaient nos préoccupations.

Confronté à des acteurs sur le marché des colis qui ne cessent de s’unir pour constituer de grands mastodontes (TNT, UPS, DHL, DPD..), un petit acteur national est menacé de se noyer dans l’océan des puissants concurrents internationaux. Bpost a pris un ancrage dans toutes les parties du monde, mais reste malgré tout un des acteurs les moins importants sur le marché international! Pour cette raison, cette opération était certes de bon aloi du point de vue de l’économie d’entreprise.  

Mais, il y a plus que l’aspect d’économie d’entreprise! Il y a l’avenir du personnel actuel et futur, et ses conditions de travail ! Y aura-t-il jamais une fin au nivellement par le bas?

Le dérapage de la tension salariale

Les régulateurs européens ne portent pas le moindre intérêt au citoyen lambda, au travailleur lambda ou à l’homme de la rue. Leur seul credo est le grand capital!

Une petite illustration dans le monde de la poste: selon les annales de 1939, un directeur général de l’administration des postes gagnait 90.000 fr. Un facteur employé à temps plein bénéficiait d’un traitement de départ de 11.200 fr. Soit un rapport de 1 à 8 (c’est ce qui s’appelle la tension salariale)

Selon les annales de 1989, l’administrateur général  débutant avait un traitement de 709.140 fr et un postier 150.981fr. Soit un rapport de 1 à 4,7.

Aujourd’hui, un facteur débutant a 20.713 euros. Le ceo perçoit 31 fois plus, soit 650.000 euros. Johnny Thijs avait même plus de 1.000.000 euros, ou 50 fois le salaire d’un facteur débutant.

On peut se demander si la tension salariales n’était pas trop étroite en 1989, mais une tension salariale de 1/10, ou même 1/15 sous des conditions strictement définies (par exemple la création supplémentaire d’emplois) serait encore éventuellement acceptable, mais aujourd’hui la tension salariale a grimpé un peu partout vers 1/50; 1/100; 1/150 et bien plus.

Mais cela ne suffit pas, en faisant appel à de faux indépendants et à des travailleurs payés à la pièce, on tire le revenu de la classe laborieuse encore plus vers le bas.

Faux indépendants et indépendants sans personnel (ISP).

Post NL fait figure de pionnier dans ce domaine.  Ceci explique du même coup notre méfiance à l’égard de cette entreprise. Mais les (faux) indépendants se sont unis (syndicat) et ont dénoncé leurs pénibles conditions de travail, à la suite de quoi post NL voulait apparemment les éjecter! Ils se sont alors adressés à la justice, et le tribunal a estimé que ceux qui travaillent sans personnel propre (ISP), ne peuvent pas être des indépendants mais doivent obtenir un contrat de travail! Le juge avait pris largement connaissance de l’exploitation du personnel.  

En Belgique, on est encore loin de là. Pour juger si un indépendant travaille sous l’autorité et la direction d’un tiers, le législateur fait appel à pas moins de  9 critères. Quiconque répond au moins à la moitié de ces critères est supposé être un salarié. Ces critères ont été soigneusement choisis de façon à ce qu’il y ait des possibilités d’interprétation pour les avocats les plus roublards, qui ne sont payables que par les grands consortiums, pour pouvoir toujours  s’en tirer et maintenir le sceau d’indépendant!

Voici la liste des neuf critères:

  • Ne pas courir de risque financier ou économique! Qu’est-ce que cela implique? Un distributeur de colis achète sa propre camionnette, il encourt donc un risque financier et économique! (-)
  • Ne pas posséder de pouvoir de décision au niveau financier par rapport aux moyens de l’entreprise. Quelle entreprise? La sienne ou celle pour laquelle il travaille? Donc susceptible d’interprétation! (?/+)
  • Ne pas pouvoir participer à définir l’éventuelle politique d’achat de l’entreprise. Idem, si cela concerne l’entreprise pour laquelle il travaille, il ne peut effectivement pas définir la politique d’achat (?/+)
  • Ne pas pouvoir participer à définir la politique des prix de l’entreprise (+)
  • Ne pas être lié par une forme quelconque d’obligation de résultat. Il devra faire le travail dans le délai imparti! (+)
  • Ne pas disposer de personnel propre ou de la possibilité d’en recruter. Certains travaillent avec des sous-traitants (-)
  • Ne pas pouvoir agir de façon indépendante vis-à-vis de tiers ou n’avoir qu’un seul commanditaire. Dans de nombreux cas, il travaillera exclusivement pour une seule entreprise. (+/-)
  • Disposer de la garantie d’une indemnité ou d’un revenu fixe: susceptible d’interprétation, le plus souvent payé à la pièce, cela constitue-t-il une indemnité ou un revenu fixe? (-)
  • Travailler dans des locaux d’un tiers ou avec du matériel financé par un tiers: normalement pas d’application, sauf pour les conteneurs? (?/-)

Cette énumération prouve qu’il sera difficile de démontrer que l’on satisfait à 5 critères pour être considéré comme salarié. Pendant ce temps, ces gens travaillent 12 à 16 heures par jour, parfois 7 jours sur 7 et pour un revenu net (acceptable) légèrement supérieur au seuil de pauvreté! Et le gouvernement a vu que c’était bien. Ce ne sont tout de même que des malheureux, pourquoi payer plus?

L’Europe condamnée à disparaître?

Si l’Europe se désagrège, ceci en sera la cause! L’acte fondateur de la Communauté Européenne (le traité de Rome) a vu le jour après la Deuxième Guerre Mondiale, avec pour objectif: plus jamais de guerre par la création de bien-être et de prospérité pour chacun! Ceux qui sont à la manœuvre en Europe depuis des décennies ont un seul but: servir le grand capital et se remplir les poches. Ce n’est propre à aucune couleur, ils le font tous, du rouge au bleu foncé, des conservateurs  à l’extrême droite!

Cette situation glisse à nouveau vers une société de classes, avec tous les risques que cela comporte!

Celui qui n’a rien à perdre devient un projectile incontrôlable. Et c’est précisément ce groupe qui prend de l’ampleur dans cette structure de marché libre dérégulé et sans aucun scrupule!

Le danger persiste!

C’est pourquoi le SLFP La Poste est inquiet pour l’avenir.  A tout moment, un autre dossier de reprise peut surgir. Et aussi longtemps que le problème de l’exploitation du personnel n’est pas résolu, le danger persiste  pour que nos travailleurs salariés continuent d’être emportés dans la spirale négative en matière de sécurité d’emploi, conditions de travail, etc.

Seul un nouvel équilibre économique au niveau international, assorti de règles transfrontalières contraignantes peut renverser la vapeur. Mais alors, l’ultra-capitalisme doit marquer l’arrêt et, comme le professeur Paul de Grauwe l’indiquait déjà dans ses publications, il faut recréer une large base reposant sur l’égalité et la solidarité, parce que seule cette voie peut mener au sauvetage du marché libre. Un marché libre qui améliore la situation de tous, et pas seulement des « happy few »!