Les syndicats des services publics - SLFP, CSC Services publics et CGSP - unissent leurs forces dans cet article d'opinion pour défendre les intérêts de tout le personnel de la fonction publique et des citoyens.
Un secteur public fort ou le règne du chacun pour soi
Faisons en sorte d’avoir une vision d’avenir !
D’aucuns perçoivent les services publics comme patauds, lents, peu efficients. Leur vision des fonctionnaires n’est pas en reste non plus, ceux-ci étant souvent présentés comme des tire-au-flanc, payés si grassement que l’économie suffoquerait sous le poids d’une telle institution ... Ce genre de caricatures nous est servi quotidiennement et à tour de bras dans les médias pour justifier les coupes sombres subies dans les services publics. Aujourd’hui, la réduction des dépenses publiques constitue l’essentiel de l’agenda des négociations gouvernementales.
Après des années de mise à sac des services publics, l’heure serait venue de porter le coup de grâce en diminuant drastiquement les dépenses publiques. Pourtant, de telles mesures « d’économie » ne sont pas la panacée pour résorber la dette publique. Bien au contraire, elles risquent d’aggraver davantage la situation économique et sociale de notre pays.
Car, à y regarder de plus près, on se rend très vite compte que les services publics et les agents de l’État sont en réalité indispensables pour garantir la prospérité et le bien-être de tous les citoyens. Au cours du siècle dernier, la prospérité mondiale croissante est allée de pair avec un accroissement du rôle du secteur public dans l'économie. Les plus hauts taux de croissance des pays européens au cours de l'après-guerre étaient directement liés à une augmentation des « prélèvements publics », largement décriés ; en d’autres termes, la part des dépenses publiques par rapport au PIB.
Les dépenses publiques participent activement à la croissance économique dans la mesure où elles créent une demande dans le secteur privé.
La fourniture par le secteur public d'un enseignement et de soins de santé de qualité et accessibles garantit pour chaque citoyen l’accès aux droits fondamentaux que sont l’éducation ou la santé et c’est là le principal. Mais, cette fourniture par les pouvoirs publics de services aussi importants assure également au secteur privé une main-d'œuvre en bonne santé et bien formée. De plus, notre système de sécurité sociale et nos services publics apportent de la stabilité et de la continuité. Cela est particulièrement visible en période de crise. Ce rôle stabilisateur incarné par les pouvoirs publics préserve le pouvoir d'achat et favorise la croissance économique. Ainsi, au sortir de la crise du Coronavirus, la Belgique a pu tabler sur une croissance économique de 1,5 % en 2023 alors que ses voisins allemand, français et néerlandais pouvaient compter sur des croissances respectives de 0,3 %, 0,9 % et 0,2 %.
Mais ce n’est pas tout. Ces mécanismes de redistribution des richesses contribuent en effet à une plus grande justice sociale dans la mesure où ils sont au service de chaque individu. Ils doivent répondre à des standards plus élevés que les services privés : les hôpitaux et les établissements scolaires doivent par exemple être géographiquement et financièrement accessibles à l'ensemble des citoyens, et pas seulement à ceux qui en ont les moyens. Cette mise en pratique de l’égalité par le secteur public constitue à ce titre la pierre angulaire de notre démocratie, le ciment de notre société.
Et, s’il fallait encore un exemple pour convaincre de la nécessité d’avoir des services publics, il suffirait d’ajouter qu’ils jouent également un rôle indiscutable dans le maintien de notre pouvoir d’achat. En effet, qui pourrait encore avoir accès à l’enseignement, aux soins, à la culture, aux transports …si tous ces secteurs venaient à être privatisés ? Voulons-nous réellement d’une société organisée dans l’intérêt d’une poignée de « privilégiés » triés sur le volet ?
Une étude réalisée en 2012 par le CIRIEC, le Centre international de recherches et d'information sur l'économie publique, sociale et coopérative, a par ailleurs corroboré l'étude menée en 2008 par l'OCDE. Elle confirme que les services publics contribuent effectivement à accroître le revenu des ménages. Ce revenu disponible accru profite directement à l’économie. Même son de cloche du côté de la Banque mondiale qui partage ce constat.
Les services publics se révèlent par ailleurs indispensables pour relever les défis majeurs au niveau européen ou mondial, à l'instar de la lutte contre le changement climatique, la pauvreté, la malnutrition, les violences faites aux femmes (comme le confirment différentes études d’OXFAM) ou encore le combat mené contre la cybercriminalité.
Aujourd’hui, notre pays se trouve confronté à des défis sociétaux majeurs : le vieillissement de la population, la montée en puissance de l'intelligence artificielle et de la digitalisation, le nombre élevé de burn-out, la recrudescence des situations de pauvreté… Grâce au concours des services publics, nous sommes en mesure de relever efficacement ces défis. En d’autres termes, les pouvoirs publics ne sont aucunement un fardeau pour notre économie mais sont au contraire des acteurs de choix pour assurer bien-être, sécurité, stabilité et prospérité.
La Banque mondiale elle-même appelle à renverser totalement la politique fiscale et souligne la nécessité des dépenses publiques : « les dépenses publiques les plus importantes, telles que les investissements consacrés au capital humain des jeunes ou aux infrastructures et à la recherche et au développement, peuvent avoir une incidence bénéfique sur la croissance, les inégalités ou la pauvreté plusieurs dizaines d'années plus tard ».
Pour toutes ces raisons, il est plus que jamais nécessaire de préserver un modèle social fondé sur la redistribution des richesses. Les services publics n’ont jamais été et ne seront jamais un coût. Ils forment au contraire notre premier rempart de sauvegarde du pouvoir d'achat !
Laissez tomber le cache-misère ...
Les fonctionnaires ne se distinguent pas des autres travailleurs. En effet, ils travaillent dur pour gagner leur vie, rament avec les rames que l'on consent à leur octroyer et doivent bien souvent composer avec un effectif de plus en plus réduit et ce, dans un monde numérique en constante évolution. Quant à leur niveau de rémunération, pas sûr qu’il soit réellement conforme à la réalité du marché.
Evoquer LE fonctionnaire, c’est parler des enseignants, militaires, inspecteurs, pompiers, agents pénitentiaires , personnels des soins de santé, conducteurs de train, éclusiers, éboueurs …. C’est parler de tous ces travailleurs qui se mettent quotidiennement au service du citoyen et de la collectivité.
Si l’on ne reçoit que des clopinettes ...
Augmenter la charge de travail et détériorer les conditions de travail ne profitent ni aux agents eux-mêmes, ni aux usagers de ces services publics.
Pourtant, aux yeux des responsables politiques, il ne s’agit que d’un exercice d’uniformisation permettant de réaliser facilement des économies et de dégraisser les effectifs en personnel. Tout de même curieux quand on sait qu'il y a des pénuries criantes dans certains secteurs : services de douane et d'inspection, dans l'enseignement, les soins de santé, les transports en commun ... Ces politiques qui promettent de faire plus avec moins, ont pour conséquence de dégrader l’image des services publics afin de favoriser leur privatisation.
Les pensions du secteur public sont à nouveau dans le collimateur, et ce malgré les nombreuses réformes antérieures. Les mesures envisagées n’ont pas tardé à se faire connaître : affaiblissement de la base salariale, pas d'indexation au-delà d'un certain montant, suppression des métiers lourds, y compris les régimes des militaires et de la SNCB, suppression de la péréquation ... Toutes les mesures prévues vont avoir pour conséquence une diminution des pensions des agents des services publics. Qui peut imaginer que ces mesures ne vont pas entrainer des départs massifs ? Pas seulement à la Défense mais également dans de nombreux autres services.
Au lieu de démanteler la pension des fonctionnaires, comme le prévoient les différentes versions de la note servant de base aux négociations, il faudrait sans tarder revaloriser l’ensemble des pensions du premier pilier, y compris pour les travailleurs du privé.
Le règne du chacun pour soi ?
Quelles que soient les modifications apportées dans la note du formateur, il n’en demeure pas moins que le cœur du projet reste bel et bien intact : faire passer les fonctionnaires à la caisse ! En privilégiant le règne du chacun pour soi, les négociateurs s’apprêtent à porter un coup fatal à notre modèle social fondé sur des services publics forts et de qualité. Nous voilà prévenus !
Carte blanche de Patrick Roijens (président général du SLFP), Roland Lahaye (vice-président CSC-FSCSP) et Laurent Pirnay (vice-président CGSP).